signalisation imaginaire, La calle Adonde llega? Bosque de Chapultepec, Mexico, 1983
J’écrivais en
mai 1984 à propos de cette «nature sociologique et numérique», revenant de Mexico vers Paris :
« Attaché à une case numérotée d’un Boeing 747 qui vient de décoller du milieu d’une ville de dix-sept millions d’habitants
du tiers-monde et qui fonce vers les pays riches, j’ai les yeux fixés sur les
signaux. Sur l’électron terrestre d’un système solaire infiniment petit, à la
périphérie d’une galaxie mortelle parmi des milliards d’autres, dans un cosmos
indéfini, je ne suis qu’un individu anonyme dans une masse sociale qui pulse
confusément. Il n’y a plus ni centre ni sens. Avec l’avènement de l’idéologie
dominante de classe moyenne, l’image du monde, sa structure, son système de
valeurs, son esthétique, ses codes stylistiques ont changé de même que la
conscience de mon rapport individuel à l’ensemble social. L’ancienne domination
de la nature sur la culture semble s’inverser désormais dans le nouvel
équilibre écotechnologique, en faveur de la logique sociale. Plus que jamais,
notre rapport à la nature devient sociologique, générant l’invention de la mythanalyse, qui identifie la gestation mythique de «l’origine du monde» avec
le processus de la socialisation, de la naissance à la mort de chaque individu.
Il faut dénoncer la Grande Époque
Kitsch du post-modernisme, dont la « transavantgarde» réactionnaire instituée par
la nouvelle classe moyenne me rappelle le néoclassicisme rétrograde de la
nouvelle bourgeoisie installée au pouvoir après 1789, ou l’instauration du
réalisme socialiste contre l’art expérimental après la révolution soviétique. La
conscience sociologique permet de résister au kitsch de la classe moyenne,
comme nous avons démystifié l’avantgardisme de l’idéologie bourgeoise précédente.
Ce n’est qu’un confort mou. Surchargé de symboles stylistiques du pouvoir nouveau-riche,
sans conscience des enjeux fondamentaux des nouvelles technologies qui changent
le monde. L’esthétique réelle de notre techno-nature contemporaine se simplifie
en un système de pictogrammes et de couleurs primaires, dont témoignent déjà la
signalétique urbaine, la bande dessinée et l’image électronique, nouvelles icônes
de notre civilisation urbaine. Autrefois spatialiste (Éternité, perspective,
profondeur, Histoire), l’esthétique contemporaine s’inscrit aujourd’hui sous le
signe du temps éphémère, dont les scintillements cathodiques nous invitent à la
jouissance et à la consommation immédiate dans un monde fasciné par la mort. L’esthétique
de l’espace s’efface dans l’accélération du temps, du changement et donc de la
simplification graphique et chromatique de la nouvelle techno-nature. L’esthétique
contemporaine est devenue signalétique et brutaliste. Elle s’inscrit dans la
consommation collective qu’exige la classe moyenne, dans la communication
événementielle et urbaine, mais pour l’interroger sur ses défis contemporains,
qui ne sont certainement plus les Beaux-Arts, mais la créativité des nouvelles
technologies électroniques et de la science, dans un cosmos sociologisé.» (in L’Art vivant, mai 1984).
Je ne changerais
aujourd’hui que quelques mots de ce constat, évoquant notamment l’idéologie de
masse, plutôt que de classe moyenne. Mais le bouleversement s’est confirmé
totalement. La nouvelle nature est devenue sociologique et numérique. C’est
cela qui constitue la clé de la compréhension de notre époque en ce début de 2e
millénaire. Mais je ne parle pas ici de la sociologie commerciale des sondages d’opinion
et des comportements de consommateurs. Je ne parle pas de cette sociologie de
marketing qui s’est imposée aujord’hui et a relégué dans les oubliettes la
sociologie des fondateurs, Durkheim, Mauss, Weber, Aron, ou Foucault. Ce n’est
pas que cette sociologie ait perdu sa raison d’être, bien au contraire :
dans les bouleversements sociaux que nous vivons, nous en avons besoin plus que
jamais pour comprendre où et quand nous sommes. Mais les contrats de marketing
ont acheté les esprits et la sociologie s’est délitée dans les sondages
immédiats sur les consommateurs et les électeurs : ce qui rapporte de l’argent
et du pouvoir.